Lecurieux a écrit : ↑04 nov. 2018, 03:06Je suis actuellement dans la lecture de le soleil noir de la puissance de Dominique De Villepin
Il y est écrit que lors du coup d'Etat du 18 brûmaire le futur empereur se doit de gagner la personne du General Lefebvre commandant la place de Paris
Pour ce faire, il lui aurait notamment donné le cimeterre qu'il portait en Égypte (faits résumés par Jacques Bainville).
Il s'agirait d'un sabre de mamelouk récupéré au cours de la campagne d'Egypte
Corrigez moi si je fais fausse route, je suis curieux d'en savoir plus![]()
Villepin (Le soleil noir de la puissance 1796-1807) écrit en effet ceci :
« Le général Lefebvre, autre jacobin notoire commandant la place de Paris, est gagné en personne par Bonaparte et finit par lui promettre de « jeter ces bougres d’avocats à la rivière. »
...et oriente ses lecteurs vers Bainville.
Dans « Le dix-huit brumaire et autres écrits sur Napoléon », ce dernier écrit ceci :
« Le mari de « madame Sans Gêne » était un cœur simple, droit et sentimental. Il admirait le héros d’Arcole et des pyramides. Il fut ému par une éloquente peinture des maux de la patrie, par une adjuration pathétique, plus encore par le don que lui fit Bonaparte du cimeterre qu'il portait en Egypte. « Pleurant et sacrant à la fois », dit Albert Vandal, il promit « de jeter ces b… d’avocats à la rivière ». »
Allons donc du côté de Vandal (L'avènement de Bonaparte. Tome 1, La genèse du Consulat. Brumaire. La constitution de l'an VIII) :
« Lefebvre était l'Alsacien patriote, de naturel sensible sous une rude écorce, plus Français de cœur que de langage. Il avait l'âme prompte aux généreuses colères, l'attendrissement immédiat, et ne résistait jamais à une effusion. Comme Bonaparte lui montre la République en proie aux avocats qui l'exploitent et la perdent, il s'indigne; quand il se voit remettre par Bonaparte le sabre que « le héros » lui-même portait en Egypte, il n'y tient plus; des larmes lui montent aux yeux. Pleurant et sacrant à la fois, il déclare en faisant sonner les b comme des t qu'il est prêt à «jeter ces b... d'avocats à la rivière ».
Vandal (qui publie son ouvrage en 1902) ne cite pas ses sources, mais l’anecdote ici rapportée avait été popularisée un demi-siècle plus tôt par Thiers dans « Histoire de la Révolution française » :
« Lefebvre était entré avec humeur.
« Eh bien, Lefebvre, lui dit Bonaparte, vous, l'un des soutiens de la république, voulez-vous la laisser périr dans les mains de ces avocats ? Unissez-vous à moi pour m'aider à la sauver. Tenez, ajouta Bonaparte, en prenant un sabre, voilà le sabre que je portais aux Pyramides ; je vous le donne comme un gage de mon estime et de ma confiance.
-Oui, reprit Lefebvre tout ému, jetons les avocats à la rivière ! »
Autre source probable d’inspiration de Vandal (les avocats qui « perdent » la patrie ou la république, les larmes de Lefebvre, les « bougres » d’avocats) : Sorel, qui écrivait en 1898 dans la Revue des deux mondes (« L’Europe et le Directoire ») :
« Lefebvre, commandant de la place, accourut en colère, effaré de cette prise d'armes qui se faisait sans ses ordres. Bonaparte lui répondit en lui offrant le cimeterre qu'il portait aux Pyramides et l'adjura de marcher « Lui ! l'un des plus solides soutiens de la patrie, la laissera-t-il aux mains des avocats qui la perdent »
Lefebvre exécrait les avocats et pleurait au seul nom de la patrie.
« S'il ne s'agit que de cela, s'écria-t-il, je suis prêt. Jetons donc ces b… d'avocats à la rivière. »
Si Sorel semble avoir quelque peu brodé l’anecdote donnée par Thiers, on peut s’interroger sur les sources sur lesquelles ce dernier historien s’est appuyé.
Je n’ai aucune assurance sur l’affaire, mais la prose de Thiers fait bigrement penser aux mots que l’on peut trouver dans une pièce de théâtre de 1828 (Scènes contemporaines) écrite par Loève-Veimars, Vanderburch et Romieu, sous le pseudonyme collectif de la vicomtesse de Chamilly (j’ai souligné ici les mots repris textuellement par Thiers) :
«-Bonaparte (paraissant sur le perron, entouré de Murat, Macdonald, Lannes, Bernadotte, Joseph Bonaparte, Leclerc, Moreau, Berthier, et nombre d'officiers supérieurs) : C'est vous, Lefebvre, qu'est-ce donc ? Vous, l'un des soutiens de la république, voulez-vous la laisser périr dans les mains des avocats ? (détachant son sabre.) Tenez, général Lefebvre, voilà le sabre que je portais aux pyramides; je vous le donne en présence de l'élite de l'armée, comme un gage de mon estime et de ma confiance.
-Lefebvre (très ému) : Oui, mille tonnerres, jetons les avocats à la rivière ! Je ne vous quitte pas ! »
Prudence donc…
Par ailleurs, peut-être que les auteurs de théâtre repris par Thiers (puis par bon nombre d’historiens ou écrivains) se sont inspirés du sabre d’honneur que Lefebvre reçut par la suite en souvenir de ses services lors de Brumaire.