Voilà le commentaire que j'en faisais dans Traditions n° 14 (juin 2017). Je me permets de le citer ici :
"La découverte fortuite, dans les archives de lord Bathurst, de la copie des notes du futur Mémorial de Sainte-Hélène confisquées en 1816 par Hudson Lowe est indiscutablement une nouvelle importante du point de vue scientifique et la Fondation Napoléon ne peut qu’être félicitée pour ce brillant résultat. Cependant, ces notes, pour l’essentiel prises sur le vif et mises une première fois en forme durant les mornes journées de Sainte-Hélène, ne sont pas le Mémorial lui-même. Car, après avoir récupéré son précieux matériau après la mort de l’Empereur, le comte de Las Cases a fait son travail d’écrivain. Il a fait le tri dans ses notes, les a recoupées en consultant d’anciens dignitaires de l’Empire et en les comparant avec les ouvrages déjà publiés, en faisant des choix et en enrichissant son travail de nouvelles informations et de nouvelles citations.
Quel que soit le résultat, et quoi qu’on puisse en penser, l’ouvrage finalement publié — et il fut un immense succès d’édition qui a largement contribué à redonner sa popularité à l’Empereur déchu — est l’oeuvre elle-même. Bien sûr qu’elle n’est pas exempte de défauts ! Trop rapidement publiée, elle a conservé la forme discutable d’une succession discontinue de moments de la vie à Sainte-Hélène et d’anecdotes sur la vie et l’oeuvre de l’Empereur. Mettant en scène Napoléon, elle ne pouvait s’empêcher d’idéaliser son parcours, allant jusqu’à livrer maintes citations qui ont rapidement fait le tour du monde napoléonien. Sans doute aussi insiste-t-elle un peu trop sur la proximité de Las Cases et de son fils avec l’Empereur… contribuant à faire de l’auteur du Mémorial une sorte de héros de second plan.
Pourtant, c’est cette oeuvre-là que nous avons tous lu, parcouru et reparcouru tant ce travail est incontournable pour qui s’intéresse à l’Empereur. Nul ne conteste aujourd’hui que Las Cases a probablement pris quelques libertés en enjolivant certains propos de Napoléon. Est-ce si étonnant dans ce type d’exercice hagiographique commis par un admirateur
inconditionnel ?
Les travaux de la Fondation Napoléon vont permettre la publication, dès le mois d’octobre prochain, des fameuses notes.
On sait déjà que ces dernières, comme tout matériau brut, livrent moins de bons mots et d’anecdotes croustillantes. On sait aussi que le geôlier de Sainte-Hélène y est moins décrié (mais est-on certain que ces passages-là n’ont pas été édulcorés par l’intéressé lui-même, voire par les copistes anglais ?)… Il sera évidemment intéressant de comparer ces notes avec les autres sources pour en tirer une approche plus authentique de l’existence de Napoléon à Sainte-Hélène.
Mais, pour autant, Las Cases n’a pas tout inventé. Si la mise en forme est plus favorable à l’Empereur, si le Mémorial a été embelli, n’est-ce que cette oeuvre-là qui nous a fait tant rêver ? Gardons intact le Mémorial et laissons les notes aux scientifiques…"