Christophe a écrit : ↑29 mars 2014, 12:23Il y a aussi le fait que l'Empereur n'a pu arriver à temps à Paris. Le 30 mars, au soir, il apprend la capitulation de la ville alors qu'il n'en est pas loin (à Juvisy, au lieu-dit "La Cour de France"). Il sera "assommé" par la nouvelle apportée par le général Belliard.
Belliard contant l'affaire dans ses Mémoires :
« Lorsque la convention pour l'évacuation de Paris fut signée, je reçus l'ordre de marcher avec toute la cavalerie que je commandais sur Fontainebleau, pour éclairer la route, qu'on croyait avoir été interceptée par des partis ennemis. L'armée devait me suivre ; je m'arrêtai à la Cour de France pour prendre position et y passer la nuit. Un courrier de l'Empereur, venant de Fontainebleau, passe au même instant et annonce sa Majesté qui le suivait de très près. L'Empereur arrive : ce mouvement de troupes l'inquiète. La voiture arrêtée, il demande :
« Qu'est-ce qui est là?
-C'est le général Belliard, Sire », dit le courrier.
J'étais à la portière ; il fait ouvrir, saute à terre, et m'emmène sur la grande route :
« Eh bien ! Belliard, qu'est-ce que cela ? Comment êtes-vous ici avec votre cavalerie? Où est l'ennemi?
-Aux portes de Paris, Sire.
-Et l'armée ?
-Elle me suit.
-Et qui garde Paris ?
-Il est évacué : l'ennemi doit y entrer demain matin à neuf heures ; la garde nationale fait le service aux portes...
-Et ma femme, et mon fils, que sont-ils devenus ? Où est Mortier ? Où est Marmont ?
-L'impératrice, votre fils et toute la cour sont partis avant-hier pour Rambouillet. Je pense qu'elle aura continué sur Orléans. Les maréchaux Mortier et Marmont sont sûrement encore à Paris pour terminer tous les arrangements... »
Il fallut raconter à l'Empereur avec la rapidité de l'éclair tout ce qui nous était arrivé. Je lui fis connaître les positions de notre petite armée et celles de l'ennemi pendant la bataille, et tout ce qu'une poignée de Français avait fait de sublime dans cette journée mémorable. Le prince Berthier et le duc de Vicence suivaient l'Empereur :
« Eh bien ! vous entendez ce que dit Belliard, Messieurs; allons, je veux aller à Paris; partons. Caulaincourt, faites avancer ma voiture ! »
Nous étions déjà assez loin sur la route; je fis observer à sa Majesté qu'elle ne pouvait plus aller à Paris, qu'il n'y avait plus de troupes...
« J'y trouverai la garde nationale ; les troupes viendront me joindre; nous gagnerons du temps ; on peut rétablir les affaires.
-Mais, je le répète à votre Majesté, elle ne peut pas aller à Paris : la garde nationale, d'après le traité, garde les barrières, et les étrangers ne doivent entrer que demain ; mais il serait très possible qu'ils eussent passé outre, et que votre Majesté trouvât aux portes, ou sur les boulevards, ou même dans Paris des postes russes ou prussiens.
-N'importe, je veux y aller ; ma voiture... Vous, allez avec votre cavalerie.
-Mais, Sire, votre Majesté s'expose à se faire prendre et à faire saccager Paris. Je le répète encore à votre Majesté, l'ennemi, fort de plus de cent vingt mille hommes, est aux portes et il a occupé toutes les positions.... Ensuite, je suis sorti en vertu d'une convention, et je ne peux pas rentrer dans Paris...
-Quelle est-elle, cette convention ? qui l'a faite ? qui a donné des ordres ? Qu'a-t-ou fait de ma femme et de mon fils ? Que fait Joseph ? Où est le ministre de la guerre ?
-Je ne connais pas la convention, Sire ; le duc de Trévise m'a fait dire qu'elle existait, et que je devais marcher vers Fontainebleau. On m'a dit qu'elle était faite par MM. les maréchaux Mortier et Marmont. Nous n'avons reçu aucun ordre toute la journée ; chaque maréchal tenant sa position agissait pour son compte et défendait les approches de Paris. J'ignore ce que sont devenus le prince Joseph et le ministre de la guerre ; ils n'ont point paru aujourd'hui à l'armée, du moins au corps du maréchal Mortier. J'ai eu l'honneur de dire à votre Majesté que l'impératrice, le roi de Rome et la cour étaient partis pour Rambouillet.
-Mais pourquoi les avoir fait sortir de Paris ?
-Là-dessus, je ne peux rien répondre à votre Majesté, sinon qu'on disait que c'était par ses ordres.
-Il faut aller à Paris ; quand je ne suis pas là, on ne fait que des sottises. »
Le prince Berthier et M. de Caulaincourt se réunirent à moi pour dissuader l'Empereur. L'Empereur demandait sa voiture, M. de Caulaincourt l'annonçait et elle n'arrivait pas ; l'Empereur se fâchait, marchait et questionnait toujours.
« Il fallait, messieurs, tâcher de tenir plus longtemps et tâcher d'attendre l'armée : il fallait remuer Paris qui ne doit pas désirer les Russes, mettre en action la garde nationale, qui est bonne, et la placer dans les fortifications, que j'ai ordonné au ministre de faire élever et hérisser de canons ; elle les aurait sûrement bien défendues ; mais il paraît qu'on n'a rien fait de bien.
-On a, je crois, Sire, fait aujourd'hui plus qu'il n'était possible de faire et d'espérer. L'armée active, forte de 15 à 16 mille hommes, était en campagne en présence de 120 mille, et elle a fait des prodiges de valeur, puisqu'elle a résisté, et tenu l'ennemi en échec jusqu'à quatre heures où la suspension d'armes a eu lieu, espérant toujours l'arrivée de votre Majesté. Dans la journée, le bruit de votre arrivée s'est répandu dans Paris et a gagné l'armée : alors les cris de vive l'Empereur ! se sont fait entendre partout ; alors on a redoublé d'ardeur et de courage : cela a donné à penser à l'ennemi, qui déjà marchait en crainte à l'approche de cette grande cité, et ralentit ses mouvements. Il s'est étendu du côté de St-Denis, qu'il a attaqué et qu'il voulait prendre pour appuyer sa droite, et puis il s'est porté sur la route de la Révolte, laissant une partie de son centre entièrement ouvert, et nous la donnant belle, si nous avions eu 20 000 hommes de plus en avant de La Villette, pour aller remplir le vide et prendre en flanc toute leur droite qui eût été enlevée. La garde nationale était placée aux barrières, défendues par des tambours en palissades, crénelés et sans fossés devant : elle avait un bataillon sur Montmartre ; elle gardait aussi les routes de St-Denis et de Neuilly, à notre gauche. Le peu qui a été engagé a très bien donné ; il est même des gardes nationaux dont nous avons été obligés de retenir l'ardeur et qu'il a fallu faire rentrer parce qu'ils dépassaient nos tirailleurs. Quant aux fortifications, je n'en ai pas vu, du moins dans la partie que j'occupais.
-Où étiez-vous ?
-En avant de La Villette, depuis le canal de l'Ourcq jusqu'à la seconde route de St-Denis après Montmartre.
-Combien aviez-vous de cavalerie ?
-Environ quinze cents chevaux, y compris la division du général Roussel.
-C'est un bon officier, dit l'Empereur, un brave homme. Mais Montmartre devait être fortifié, garni de gros calibre et pouvait faire une défense vigoureuse.
-Heureusement, Sire, l'ennemi l'a cru comme vous, et l'a craint, je pense, car il s'en est approché avec beaucoup de circonspection, et seulement vers trois heures ; malheureusement on n'y avait point travaillé, et il n'y avait que six pièces de six.
*Qu'a-t-on donc fait de tous mes canons, car je dois avoir au moins 200 pièces à Paris et plus de200 000 coups à tirer ? Pourquoi tout n'est-il pas en batterie devant votre front ?
-Je l'ignore; Sire, mais excepté six pièces de gros calibre, placées sur la route en avant de La Villette, qui ont beaucoup tiré et bientôt manqué de munitions, et les six pièces de la butte Montmartre, du moins dans ma partie, nous n'avons eu à opposer à l'ennemi que nos pièces de campagne ; encore à deux heures, j'ai dû faire ralentir le feu, parce que nous manquions de munitions, malgré les demandes réitérées qu'a faites le commandant de l'artillerie. Le canal de l'Ourcq et celui de Saint-Denis, ainsi que les restes des anciennes fortifications de Paris, nous ont bien servi ; on en a tiré tout l'avantage possible.
-Allons, je vois que tout le monde a perdu la tête : Joseph est un c… et Feltre un j... f… ou un traître. Je commence à croire ce que me disait Savary : « Voilà ce que c'est que d'employer des hommes qui n'ont pas le sens commun. » Eh ! bien, Joseph se croit pourtant un grand général ; il est persuadé qu'il a la science infuse, et qu'il peut mener une armée aussi bien que moi. Quant à Clarke, il ne sait rien ; c'est un pauvre homme qu'il ne faut pas tirer de sa routine de bureau. Où étais-je, M. Belliard ?
-Beaucoup trop loin, Sire ; car si vous eussiez été à Paris avec l'armée , la victoire était assurée. Votre Majesté eût écrasé les ennemis, qui ont tâtonné toute la journée et manœuvré de manière à se faire détruire. La France était sauvée.
-Comment se sont conduits les Parisiens ?
-Très bien, Sire : ils faisaient des vœux pour le succès de nos armes ; ils recueillaient les blessés, les mettaient dans des voitures pour qu'on les conduisît à l'hôpital, après leur avoir fourni tout ce qui pouvait leur être nécessaire. Lorsque nous sommes rentrés en ville, et quand nous avons traversé les boulevards pour venir passer la Seine sur le pont du Jardin-des-Plantes, une foule immense, le visage triste et la consternation dans l'âme, nous regardait passer avec tous les signes de la plus profonde douleur. »
L'Empereur marchait toujours, et nous étions déjà presqu'à une lieue de la poste, lorsque nous donnâmes dans la tête de l'infanterie.
« Quelles sont ces troupes ?
C'est le corps du maréchal Mortier.
-Faites-le demander. »
Je l'envoyai chercher ; il était encore à Paris. Alors, sur les représentations nouvelles que le prince, M. de Caulaincourt et moi fîmes à l'Empereur, il se décida à retourner à la Cour de France, où il soupa et partit ensuite pour Fontainebleau , après avoir ordonné que toutes les troupes allassent prendre la position d'Essonne le lendemain. Quand nous fûmes à la poste, et à a lumière, j'examinai avec soin la figure de l'Empereur, que je n'avais pas pu voir la nuit sur la route; elle n'était pas altérée du tout, et l'on ne pouvait pas distinguer l'impression qu'avait dû faire sur lui tout ce qu'il venait d'apprendre. Il était très fatigué, parce qu'il avait fait 30 lieues à bidet pour arriver plus vite, et être à Paris avant l'événement qu'il dut prévoir dès qu'il eut avis que les armées combinées l'avaient gagné de vitesse et marchaient sur la capitale, où il aurait pu être avec toute l'armée s'il n'avait pas fait la folie d'aller sur Vitry, croyant que l'ennemi le suivrait. »