J'ai déjà eu l'occasion de citer, il y a quelques semaines, le duc de Vicence avec cet extrait de ses Mémoires relatant une conversation avec l'Empereur qui s'est tenue le 5 ou le 6 juin 1811 :
L’Empereur ne répondit pas à cela. Il parla des seigneurs russes qui, si on avait la guerre, craindraient pour leurs palais et forceraient, après une bonne bataille, l’empereur Alexandre à signer la paix.
— Votre Majesté est dans l’erreur, répondis-je.
Je répétai alors à l’Empereur les paroles de l’empereur Alexandre qui m’avaient frappé dans des conversations particulières, après l’arrivée de M. de Lauriston, lorsque je n’avais plus de caractère politique, paroles qui n’étaient que l’expression plus positive de ce qu’il m’avait donné à entendre peu de temps avant. Elles me frappèrent tellement que je les notai en rentrant et je les rapporte avec confiance, car je ne crois pas que ma mémoire m’ait fait commettre d’erreur.
“Si l’empereur Napoléon me fait la guerre, me dit ce prince, il est possible, même probable, qu’il nous battra si nous acceptons le combat, mais cela ne lui donnera pas la paix. Les Espagnols ont été souvent battus et ils ne sont ni vaincus, ni soumis. Cependant, ils ne sont pas aussi éloignés que nous de Paris ; ils n’ont ni notre climat, ni nos ressources. Nous ne nous compromettrons pas. Nous avons de l’espace et nous conserverons une armée bien organisée. Avec cela, de l’aveu de l’empereur Napoléon, on n’est jamais, malgré des revers, obligé de recevoir la loi. On force même son vainqueur à accepter la paix. L’empereur Napoléon a fait lui-même cette réflexion à Tchernychev , à Vienne, après la bataille de Wagram. Il n’eût pas fait la paix alors si l’Autriche n’eût pas conservé une armée. Il lui faut des résultats aussi prompts que ses pensées sont rapides, car, souvent absent de chez lui, il est nécessairement pressé d’y retourner. Ses leçons sont celles d’un maître. Je ne tirerai pas le premier l’épée, mais je ne la remettrai que le dernier dans le fourreau. Les Espagnols fournissent la preuve que c’est le défaut de persévérance qui a perdu tous les Etats auxquels votre maître a fait la guerre. La réflexion de l’empereur Napoléon à Tchernychev, dans la dernière guerre d’Autriche, prouve assez que les Autrichiens eussent obtenu de meilleures conditions s’ils eussent été plus persévérants. On ne sait pas souffrir. Si le sort des armes m’était contraire, je me retirerais plutôt au Kamtchatka que de céder des provinces et de signer dans ma capitale des traités qui ne sont que des trêves. Le Français est brave, mais de longues privations et un mauvais climat l’ennuient et le découragent. Notre climat, notre hiver feront la guerre pour nous. Les prodiges ne s’opèrent chez vous que là où est l’Empereur, et il ne peut être partout et des années loin de Paris.”
L’Empereur m’écoutait avec une grande attention, même avec étonnement. Il paraissait fort préoccupé ; il garda le silence pendant assez longtemps. Je crus avoir fait sur lui une profonde impression car son visage, son maintien, qui avaient toujours été plus que sévères, devinrent ouverts, bienveillants. Il semblait m’encourager, autant par l’expression de sa physionomie que par ses questions. Il me parla de la société, de l’armée, de l’administration, même de l’empereur Alexandre sans l’expression d’humeur qui avait précédemment accompagné son nom. L’Empereur fut même, dans ce moment, très bienveillant pour moi et me dit quelque chose de flatteur sur la manière dont je l’avais servi. Je l’assurai qu’il se trompait sur l’empereur Alexandre et sur la Russie ; qu’il ne fallait pas juger ce pays sur ce que disaient certaines personnes et cette armée par ce qu’il avait vu à Friedland ; que, menacé depuis un an, on avait calculé toutes les chances, notamment celles de nos succès.
Après m’avoir écouté avec attention, l’Empereur m’énuméra ses forces, ses moyens. Dès que je le vis revenu sur ce chapitre, je ne doutai plus qu’il n’y eût plus rien à espérer pour la paix, car c’était cette énumération militaire qui lui montait la tête. En effet, il finit par me dire qu’une bonne bataille aurait raison des belles déterminations de mon ami Alexandre comme de ses fortifications de sable, faisant allusion aux travaux qu’on faisait à Riga et sur la Dvina.
J'en ai d'autres qui disent toutes la même chose : Napoléon voulait cette guerre.