Cyril Drouet a écrit : ↑14 déc. 2017, 19:27
C-J de Beauvau a écrit : ↑14 déc. 2017, 18:57
Un traité peut toujours être dénoncé, voir la paix d’Amiens, et toutes les paix et traités signées sous l'empire
Dénoncer un traité aussi peu de temps (deux mois et quelques jours) après l'avoir ratifié aurait grandement fait jaser. Néanmoins, le fait de ne pas avoir encore reçu à Londres les ratifications américaines auraient pu peut-être jouer. Mais bon, on sombre ici dans le what-if...
Cette histoire « whatifienne » autour du traité de Gand me fait penser à un autre traité (et un non respect, là, bien réel) : celui de Finkenstein signé entre la France et la Perse. Ratifié par l’Empereur le 4 mai 1807, il ne fut finalement pas respecté par ce dernier (là aussi deux mois et quelques jours plus tard) lors des négociations de Tilsit sous prétexte que les ratifications de la Perse n’étaient pas parvenues.
Petit retour en arrière :
Le 16 février 1805, Napoléon écrivait au souverain de Perse afin de lui faire connaître ses désirs de renouveler « les rapports d’amitié et de commerce » entre les deux pays.
Le 29 mars, l’Empereur écrivait une nouvelle missive, où désignant l’Angleterre et la Russie comme les ennemis plus ou moins directs de la Perse, il laissait entrevoir une aide militaire salvatrice de la France. Deux émissaires furent tour à tour envoyés vers Téhéran : Jaubert puis Romieu.
En réponse, le shah, durant l’été 1806, nomma Mirza Mohammad-Reza ambassadeur auprès de la cour de France afin d’y négocier une alliance franco-persane.
En Europe, la troisième coalition avait laissé place à la quatrième. L’intérêt d’une union avec la Perse était donc toujours réel pour Napoléon. A trois reprises, il réécrivait à Fath-Ali Shah afin de le presser d'ouvrir un second front contre la Russie.
De Varsovie, le 17 janvier :
« De ton côté, attaque avec vigueur les ennemis que mes victoires te livrent affaiblis et découragés ; reprends sur eux la Géorgie et toutes les provinces qui furent ton empire, et referme contre eux les portes caspiennes qui en gardèrent si longtemps l'entrée. »
D’Osterode, le 14 mars :
« Une partie de l'armée russe, et surtout de la cavalerie qui était sur ta frontière, a été rappelée et s'est portée contre moi. Profite de ces circonstances. Je t'expédie cette lettre par toutes les voies : il faut que nous ayons des communications fréquentes, afin de lier la politique de nos empires, qui est la même, contre nos ennemis communs. »
De Finkenstein, le 3 avril :
« Arrête toutes les communications des Anglais avec les Indes; intercepte leurs courriers; ils sont amis des Russes et nos ennemis. Apprends-moi bientôt que tu as obtenu dans cette campagne de nouveaux succès et que tu as fait du mal à l'ennemi commun. »
Le 29 du même mois, Mirza Mohammad-Reza arrivait enfin auprès de Napoléon. Les affaires allèrent vite et, le 4 mai, un traité d’alliance entre les deux nations était signé. La question géorgienne fut logiquement abordée :
« S. M. l'Empereur des Français, Roi d'Italie, et S. M. l'Empereur de Perse, désirant consolider par un traité d'alliance, leurs relations d'amitié, ont nommé plénipotentiaires à cet effet, savoir : S. M. l'Empereur des Français, Roi d'Italie, M. Hugues-Bernard Maret, son ministre et secrétaire d'État, Grand-Cordon de la Légion d'Honneur, etc., et S. M. l'Empereur de Perse, son ambassadeur extraordinaire le très-noble et très-élevé Mirza-Mehemed Riza Khan, Gouverneur de la ville et province de Casbin, premier Vizir du Prince Mehemed-Aly Mirza. Lesquels, après avoir échangé leurs pleins pouvoirs, sont convenus de ce qui suit:
Art. 1er. Il y aura constamment paix, amitié et alliance entre S. M. l'Empereur des Français, Roi d'Italie, et S. M. l'Empereur de Perse.
Art. 2. S. M. l'Empereur des Français, Roi d'Italie, garantit à S. M. l'Empereur de Perse, l'intégrité de son territoire actuel.
Art. 3. S. M. l'Empereur des Français, Roi d'Italie reconnaît la Géorgie comme appartenant légitimement à S. M. l'Empereur de Perse.
Art. 4. Il s'engage à faire tous ses efforts pour contraindre la Russie à l'évacuation de la Géorgie et du territoire persan et pour l'obtenir par le traité de paix à intervenir. Cette évacuation sera constamment l'objet de sa politique et de toute sa sollicitude.
Art. 5. S. M. l'Empereur des Français, Roi d'Italie, entretiendra un ministre plénipotentiaire et des secrétaires de légation auprès de la cour de Perse.
Art. 6. S. M. l'Empereur de Perse désirant organiser son infanterie, son artillerie et ses places fortes suivant les principes du système européen, S. M. l'Empereur des Français, Roi d'Italie, s'engage à lui fournir autant de canons de campagne et de fusils avec leurs baïonnettes que S. M. l'Empereur de Perse en demandera. Le paiement de ces armes sera fait conformément à leur valeur en Europe.
Art. 7. S. M. l'Empereur des Français, Roi d'Italie, s'engage à fournir à S. M. l'Empereur de Perse des officiers d'artillerie, de génie et d'infanterie en tel nombre qu'il sera jugé nécessaire par S. M. l'Empereur de Perse, pour fortifier ses places et organiser l'artillerie et l'infanterie persanes suivant les principes de l'art militaire en Europe.
Art. 8. De son côté, S. M. l'Empereur de Perse s'engage à interrompre avec l'Angleterre toutes communications politiques et commerciales, à déclarer immédiatement la guerre à cette puissance et à agir d'une manière hostile, sans délai. En conséquence, il rappellera de Bombay le ministre persan qu'il y avait envoyé. Les consuls, facteurs ou autres agents de la Compagnie anglaise qui résident en Perse et dans les ports du golfe Persique, devront quitter aussitôt leurs résidences. S. M. l'Empereur de Perse fera saisir toutes les marchandises anglaises et interdira toute communication à l'Angleterre dans ses états, soit par terre, soit par mer. Tout ministre, ambassadeur ou agent qui se présenterait de la part de cette puissance, pendant la guerre, sera refusé.
Art. 9. Dans toute autre guerre où l'Angleterre et la Russie feraient cause commune contre la Perse et la France, la France et la Perse feront également cause commune contre elles. Elles agiront contre l'ennemi commun aussitôt après la notification officielle qui sera faite de l'état de guerre par celle des deux Parties Contractantes menacée ou attaquée. Il en sera usé alors, à l'égard de toutes communications politiques et commerciales comme il a été dit dans l'article précédent.
Art. 10. S M. l'Empereur de Perse emploiera toute son influence pour déterminer les Afghans et les autres peuples du Candahar à joindre leurs armées aux siennes contre l'Angleterre; et, après avoir obtenu passage sur leur territoire, il fera marcher une armée sur les possessions anglaises dans l'Inde.
Art. 11. Dans le cas où une escadre française se rendrait dans le golfe Persique et dans les ports de S. M. l'Empereur de Perse, elle y trouverait toutes les facilités et tous les secours dont elle pourrait avoir besoin.
Art. 12. S'il était dans l'intention de S. M. l'Empereur des Français d'envoyer par terre une armée pour attaquer les possessions Anglaises dans l'Inde, S. M. l'Empereur de Perse, en bon et fidèle allié, lui donnerait passage sur son territoire. Ce cas arrivant, il serait fait à l'avance, entre les deux Gouvernements, une convention particulière qui stipulerait la route que les troupes devraient tenir, les subsistances et les moyens de transport qui leur seraient fournis, ainsi que les troupes auxiliaires qu'il conviendrait à S. M. l'Empereur de Perse de joindre à cette expédition.
Art. 13. Tout ce qui serait fourni, soit aux escadres, soit aux troupes, en conséquence des deux articles précédents, serait accordé auxdites escadres et troupes aux mêmes prix et conditions qu'aux nationaux eux-mêmes, et acquitté par elles.
Art. 14. Les stipulations portées dans l'article 12 ci-dessus ne sont applicables qu'à la France. En conséquence elles ne pourront être étendues, par des traités postérieurs, ni à l'Angleterre, ni à la Russie.
Art. 15. Il sera fait, pour l'avantage réciproque des deux puissances, un traité de commerce qui sera négocié à Téhéran.
Art. 16. Les ratifications du présent traité seront échangées à Téhéran, dans le délai de quatre mois, à dater de ce jour.
Le 12 avril précédent, Gardane avait été nommé ministre plénipotentiaire en Perse. Il reçut le 10 mai ses instructions par lesquelles il devait notamment pousser le shah à reconquérir les territoires que lui avait arrachés la Russie, à opérer, de concert avec Constantinople, une puissante diversion dans le Caucase, et à arrêter dans l'Inde les progrès de l'Angleterre.
Reçu le 7 décembre 1807 à Téhéran, Gardane fit ratifier le traité du 4 mai le 22 décembre.
Entre temps, les choses avaient bien changé en Europe. La France était désormais unie à l’ancien ennemi russe. Aucune référence à la Perse ne fut faite dans le traité de Tilsit. Sous le prétexte que le traité de Finkenstein n’avait pas encore été ratifié par le shah, Napoléon, au nom de l’alliance avec le tsar opta pour ne pas respecter ses engagements.
Le lendemain de la signature du traité, Napoléon avait pourtant écrit au shah :
« Les ratifications signées de ma main et scellées de mon sceau impérial seront échangées dans ta capitale. Sa fidèle exécution fera la gloire de ton empire et le désespoir de nos ennemis. »
Cependant, la France entama des démarches auprès de Saint-Pétersbourg afin d’obtenir un armistice entre la Russie et la Perse. Celui-ci obtenu, le feld-maréchal Goudowitch fit connaître fin mai 1808 ses exigences concernant la paix. Bien évidement, la Russie considérait la Géorgie comme définitivement acquise. De son côté, le shah désirait obtenir une trêve d’un an durant laquelle les négociations se poursuivraient à Paris. Le tsar rejeta avec dédain la possibilité de médiation de la part des Français. Ces derniers n’étaient d’ailleurs aucunement prêts à fragiliser l’alliance de Tilsit au nom de l’union franco-persane. Fin 1808, les hostilités reprirent et Goudowitch assiégea Erivan.
Les Persans n’étaient d’ailleurs pas dupes de la position prise par la France. Le 23 novembre, Fath-Ali Shah lâchait en termes diplomatiques à Gardane :
« L’abandon où [l’Empereur Napoléon] nous laisse nous étonne de plus en plus. »
A ce sujet, Champagny écrivait d’ailleurs au duc de Vicence :
« L’Empereur ne prend aucun intérêt à la Perse, et il n’a été donné d’autres instructions au général Gardane que de faciliter entre les Russes et les Persans, s’il en était requis par les deux parties, les communications qui auraient la paix pour objet. On lui a fait connaître que notre intérêt est pour la Russie ; mais comme vous l’avez très bien dit, pour l’intérêt de la cause commune, nous devons des ménagements à la Perse. »
Face au non-respect du traité de Finkenstein, la situation n’était guère tenable pour Gardane. Le 13 février 1809, alors que les Britanniques multipliaient les initiatives en direction du shah, il quittait Téhéran. Un mois plus tard, le 12 mars, un traité préliminaire d’amitié et d’alliance anglo-persan était signé.