C-J de Beauvau a écrit : ↑07 nov. 2017, 17:11
lors de révolte des canuts, à Lyon
Pour rester dans la période du forum, et en rapport avec la crise 1811, on peut rappeler l'émeute de Caen en mars 1812 :
Lundi, 2 mars. Les voûtes séculaires de la halle aux grains de Caen, ci-devant église Saint-Sauveur-du-Marché, tremblent sous le tumulte. En ces lieux autrefois voués à la prière et au recueillement, les têtes et les gorges s’échauffent. Les mains manquent de labeur et les ventres autant que les bourses sont vides. A l’heure de la crise et de la disette, miséreux et crève-la-faim réclament du travail et du pain.
La gronde ne tarde pas à se faire entendre sous les dorures. Accourent, accompagnés du colonel Guérin et de deux gendarmes, le préfet Méchin et le maire Lentaigne de Logivière. La rencontre tourne court. Au milieu des menaces et des insultes, Logivière est renversé sans ménagement sur un sac de blé. Les pièces jetées par le préfet ne font qu’augmenter le désordre. La halle s’est transformée en chaudron que la prudence exige de quitter. La foule suit les deux magistrats. Devant les bâtiments de la préfecture, aux injures s’ajoutent quelques pierres ; des carreaux sont brisés.
Du château, le colonel Guérin revient à la tête d’un détachement de vingt-cinq soldats de la compagnie de réserve. La halle est évacuée, fermée et gardée.
La foule pourtant ne s’est pas dispersée, et sur la place Saint-Sauveur, les esprits, malgré la troupe qui fait face, sont loin d’être apaisés.
Les émeutiers descendent à présent vers l’Orne. La cible est toute désignée : le moulin de Montaigu. Une nouvelle fois, Guérin tente de s’interposer. En vain. L’édifice est pillé et ravagé.
La nuit ramène enfin le calme, mais à la préfecture, on s’affaire. La garde nationale et la garde d’honneur sont convoquées, des renforts sont demandés à Cherbourg et le ministre de la Police est prévenu.
Lendemains de tempête. Caen ne bouge pas, et les rues ne résonnent plus que des patrouilles qui sillonnent la ville.
5 mars. Deux cents hommes du 113e régiment d’infanterie pénètrent dans une cité froide et silencieuse. Avant-goût d’une tout autre troupe : 4 000 hommes de la Garde impériale menés par le général Durosnel. La main de l’Empereur vient de se refermer sur la cité normande.
Les arrestations peuvent commencer. Sont jetés dans les cachots du château et de la prison du palais de justice cinquante-neuf prévenus (dont vingt femmes, le plus jeune n’a que treize ans).
Sur ordre de Napoléon, Durosnel met en place une commission militaire. L’instruction entamée le 7 mars s’achève le 13. Le lendemain, les verdicts, d’une sévérité exemplaire, tombent :
Onze sont acquittés, vingt-cinq sont condamnés à cinq ans de surveillance de haute police (dix d’entre eux seront désignés pour être envoyés à l’armée), neuf à cinq ans de réclusion, huit à huit ans de travaux forcés. C’est la mort qui est réservée pour les huit derniers.
Le 15 mars au matin, Auguste Samson, équarrisseur, dix-neuf ans, Nicolas Lhonneur, maître d’école, quarante-et-un ans, François Barbanche, marin, trente-trois ans, Jacques Vesdy, blanchisseur, cinquante-et-un ans, Catherine Provost, dentellière, quarante-huit ans et Françoise Gougeon, dentellière, vingt-huit ans (la fille Trilly et la femme Retour ont été condamnées par contumace) sortent du château par la porte de Bon-Secours et marchent vers leur destin.
Voici comment l’émeute de Caen et la répression qui l’a suivie furent rapportées dans le Journal de l’Empire du lundi 23 mars 1812 :
« Il y a eu ces jours derniers dans cette ville un rassemblement tumultueux, dont les subsistances étaient le prétexte, mais dont le pillage était le véritable but. Quelques mauvais sujets ont attroupé des femmes, et, s’étant portés avec violence chez des propriétaires de grains, se sont contentés d’y voler du linges et des effets. Les autorités ont fait preuve de prudence et de fermeté. Les principaux factieux ont été remarqués, et l’on s’est borné à s’assurer du lieu de leur domicile. Pendant ce temps, les troupes qui avaient été appelées se sont réunies, les chefs ont été arrêtés, et tout est rentré dans l’ordre.
Une commission militaire s’est assemblée le 4 mars au château de Caen, et les prévenus, au nombre de 61, ont été traduits devant elle.
Les nommés Lhonneur (Nicolas-Jean-Baptiste), maître d’école ; Samson (Auguste), excoriateur ; Barbanche (François), marin ; Vesdy (Jacques), blanchisseur ; fille Gougeon (Françoise), dentellière ; femme Prévost, née Guyot, dentellière ; fille Trilly (contumace) ; la femme Retour, filassière (contumace) ; ayant été convaincus d’avoir été les auteurs et les instigateurs d’un rassemblement séditieux d’où partaient des cris de menace contre les magistrats,et dont le but était de porter la dévastation dans la ville de Caen, ont été condamnés à la peine de mort, conformément à l’article XCI du paragraphe 2, section 2 du chapitre 1er, titre 1er, livre 3 du Code des délits et des peines. Huit individus ont été condamnés à la peine de huit années de travaux forcés, et dix autres à cinq ans de réclusion conformément aux articles 440 et 441 du même Code.
Le 15 mars, à dix heures du matin, le jugement a reçu son exécution. Cet acte de sévérité doit apprendre aux malveillants et aux factieux que toutes leurs tentatives échoueront contre la fermeté des magistrats chargés de veiller au maintien de l’ordre et au respect des propriétés. »
Moins de deux mois plus tard, Napoléon quittait Paris et marchait vers le Niémen.
Pour mémoire, les condamnés à la réclusion pour cinq ans furent libérés de centre de détention de la Maladrerie (prison située à un kilomètre de Caen), le 17 avril 1814, sur ordre du Duc de Berry lors de son passage dans la ville.
A cette occasion, il écrivit cette lettre :
"Je me suis fait rendre compte de la condamnation encourue par quelques individus qui, le 2 mars 1812, se sont portés à des excès condamnables. Mais ils les ont expiés par une peine sévère et prolongée. Je désire que ma présence dans cette ville les délivre, qu'ils jouissent provisoirement de leur liberté, à charge de se représenter à la première réquisition ; je n'excepte pas les deux femmes condamnées à mort par contumace [elles vivaient depuis 1812 dans la clandestinité] et les détenus au bagne de Cherbourg." (Révolte à Caen 1812)
Six femmes et cinq hommes bénéficièrent de l'ordre de libération. Parmi eux, les quatre femmes condamnées à huit ans de travaux forcés (les hommes condamnés en même temps qu'elles avaient été transférés au bagne d'Anvers).
Marie Dubois et Marie Sautier manquaient à l'appel. Agée respectivement de 53 et 60 ans, elles n'avaient pas survécu à l'hiver 1812.
Quand le duc fut assassiné six ans plus tard, les Caennais se souvinrent de la clémence du prince et firent ériger place Monseigneur des Hameaux un obélisque portant aujourd'hui ces inscriptions :
"Cet obélisque fut érigé en souvenir du séjour à Caen du duc de Berry. Neveu de Louis XVIII, après la chute du Premier Empire en avril 1814 le duc fit libérer en cette occasion un certain nombre de prisonniers condamnés à la suite des émeutes de 1812. Les plaques de bronze apposées à cet emplacement pour rappeler cet évènement furent ôtées par l'occupant en 1942."