cyril a écrit : ↑22 nov. 2017, 19:52
Bonjour;
Je suis le passionné-non spécialiste de ce forum et la qualité de mes questions peuvent s'en ressentir je vous prie de m'en excuser.
Avant tout je voulais dire combien j'ai apprécié ce livre, technique mais tellement didactique et donc très clair, en un mot je dirais : limpide.
Bonjour,
Je vous remercie pour votre intérêt pour mon ouvrage et pour vos compliments concernant la clarté de mon propos, malgré la technicité inhérente à l’histoire de la marine. Je dois, à cet égard, reconnaître ma dette envers deux personnes, l’une humaine, l’autre morale et humaine : d’abord mon directeur de thèse, le grand historien de la Révolution française et de l’Empire, que fut Jean-Paul Bertaud. Il me répétait plusieurs fois cette fameuse phrase de Boileau « Ce qui se conçoit bien s'énonce clairement ». Et il disait aussi qu’un livre d’histoire devrait être compris par des lecteurs non-spécialistes, des passionnés d’histoire, des jeunes intéressés par l’histoire.
L’autre personne, qui est pour beaucoup dans l’adaptation d’une matière technique à un public de non-spécialistes, sans formation universitaire historienne, c’est l’éditeur : la maison d’édition Vendémiaire, en tant que personne morale, s’est fixé pour objectif de rendre la parole aux hommes du passé « à rebours d’une production solennelle et savante ». La personne au service de la maison a travaillé tous les chapitres avec moi. Les collaborateurs de cette maison font un réel travail de médiation entre des auteurs, habitués à s’adresser à des spécialistes, et un public d’amateurs d’histoire et ceci tout en respectant les principes de la démarche scientifique.
Ma première question concerne le titre de l'ouvrage, est-ce vous qui l'avez choisi ? Au premier abord je pensais bien que nous allions parlez (un peu) de la marine mais je ne m'attendais pas du tout à ce contenu, je pensais vraiment me retrouver à Boulogne en 1805.
Votre question me surprend, dans la mesure où vous avez, apparemment, des connaissances sur les pratiques des éditeurs, des connaissances que moi, je n’avais pas avant de publier ce livre. Seuls les éditeurs savent trouver les bons titres, m’a dit un collègue il y a quelque temps. J’ai découvert le titre en lisant les épreuves de l’ouvrage, deux mois avant sa publication. Le titre provisoire indiqué dans le contrat d’auteur était tout autre. Mais l’éditeur a très bien fait son travail. Après avoir consulté des représentants du commerce du livre, il a choisi ce titre, qui attire l’intérêt des passionnés d’histoire, mais non spécialistes de la période. Le titre original vous aurait donné une idée plus précise du contenu, mais ce titre n’aurait guère parlé aux non-spécialistes. Et en tant que participant à un forum dédié à l’histoire napoléonienne et lecteur régulier de livres sur l’Empire, vous êtes un petit peu spécialiste quand même. Le titre choisi par l’auteur a permis à un public plus large de non-spécialistes de découvrir le livre et vous, vous êtes retrouvé à Boulogne quand même, pas en 1805, mais quelques années plus tard, en 1811
J'en viendrais au ministre de la marine : le vice amiral Denis Decrès dont Napoléon dit à Saint-Hélène "d'une administration si pure et si rigoureuse" que diriez vous de l'influence qu'il a pu avoir sur la politique de l'Empereur ? De son activité ? Au final a-t-il été un bon ministre ?
Decrès n’est certainement pas à l’origine du grand programme de redressement naval de 1810, ni de l’impulsion donnée à la marine en 1808. L’historien Pierre Lévêque a dressé un bilan du ministère de Decrès plus équilibré que l’image qu’ont eue ses contemporains.
Si l’on considère comme « politique », les choix faits en matière de marine, Decrès pouvait chercher à influencer l’Empereur en déployant ses arguments en tant que marin. Il avait des visions divergentes de celles de l’Empereur et sa vision n’était pas forcément celle de l’ensemble des marins. J’ai essayé de démontrer cela en m’appuyant sur des témoignages d’autres marins. Je dirais que Decrès n’a pas réussi à dissuader l’Empereur de la construction et du recours aux flottilles que ce soit pour des raisons stratégiques ou à des fins d’entraînement et de formation initiale et complémentaire. Mais il a tout de même cherché à dissuader l’Empereur des flottilles en exagérant délibérément le coût prévisionnel des flottilles, en répondant avec retard aux lettres de l’Empereur, en faisant un effort minimal dans ce domaine. On peut appeler cela de la résistance administrative. Sa réactivité était bien sélective.
En revanche, Decrès, comme Napoléon, était conscient de la nécessité de faire naviguer les équipages et j’ai essayé de montrer que c’est bien Decrès qui, tardivement, a réussi à convaincre Napoléon de lancer massivement les frégates en croisière durant la dernière année de l’Empire. Sans cette volonté de former des équipages pour cette marine nouvelle en redressement, cette décision ne se comprendrait pas et ferait penser aux kamikazes japonais de la fin de la Seconde guerre mondiale. Mais à l’inverse de ceux-ci, cet envoi des frégates n’était guère susceptible de produire le moindre effet psychologique et de toute façon, Decrès avait fait sa proposition en février 1812, donc avant la catastrophe en Russie. L’objectif était donc bien de former des marins, aussi audacieux que ce projet puisse paraître.
A Sainte-Hélène, Napoléon a aussi reproché à Decrès d’avoir été un courtisan, il aurait dû, selon lui, être dans les ports, sur le terrain… Je pense que Napoléon réservait à Decrès un rôle d’administrateur circonspect et prudent et ne voulait guère d’un brulot à la tête du ministère (métaphore un peu amusante dans ce contexte, je le conçois). Il voulait des hommes énergiques à la tête des escadres et sur ses navires. Bien sûr, Decrès ne pouvait rien faire contre des coupes budgétaires et j’ai essayé de montrer que celles-ci n’étaient pas non plus voulues par Napoléon. Mais il faut rappeler le rôle des représentants en mission pendant la Révolution dont beaucoup ont bien réussi à impulser énergiquement, dans les départements, des actions décidés par la Convention nationale. Et de ce point de vue, Decrès aurait sans doute pu se montrer un peu plus énergique au moment des revers continentaux, la situation militaire de la France en 1793/94 n’avait pas non plus été facile.
Puis se pose la question essentielle pour moi mais sans doute difficile d'y répondre : le plan de Napoléon avait-il une chance de réussir ? Si l'Empereur avait eu une ou deux années de plus ? Je connais l'expression avec des si...ce n'est pas très "historien" mais néanmoins quel est votre sentiment ?
Vous avez tort de dire, je pense, que l’Histoire avec un grand H ne s’écrit pas avec des si. La plupart des historiens admettent tout de même que leur rôle consiste, entre autres, à « expliquer » les faits historiques, donc à proposer des « causes » pour tel ou tel fait, événement, processus ou phénomène. Or, une cause est un fait qui précède toujours un autre (l’effet ou la conséquence), si les conditions sont les mêmes, et peut donc se répéter et produire le même effet. Parler de causes en histoire implique donc forcément d’écrire l’histoire avec des « si ». A titre d’exemple, lorsque j’affirme que les armements des puissances continentales en 1806 comme en 1811 ont « causé » l’arrêt ou le ralentissement du redressement naval (par la réduction des fonds attribués à la marine), j’affirme que si ces menaces, prussiennes et russes en 1806, russes en 1811, n’avaient pas eu lieu (et leur existence est bien documentée), la marine impériale aurait disposé de plus de 100 vaisseaux de ligne à la fin de 1813 et de 150 en 1815. Les sources disponibles ne permettent pas de diagnostiquer un arrêt prévisible des constructions pour des raisons matérielles (pas de manque de bois, cuivre etc.). Ecrire l’histoire avec des « si » est donc le travail habituel de l’historien. Sans « si », ni causes, ni facteurs, ni effets… Le « si » ne devient problématique que lorsqu’on accumule les si, donc les hypothèses ou conjectures. Alors on dériverait vers la spéculation. Je ne pourrais donc pas affirmer que, si le tsar n’avait pas menacé d’envahir le duché de Varsovie, Napoléon aurait construit sa marine et battu les Anglais. Et mon livre n’est pas du tout un livre d’histoire – fiction.
Mais vous avez posé la question plus intelligemment : Avait-il une chance de remporter la victoire ? Et là je répondrais très clairement oui. Je pense avoir démontré que l’infériorité des équipages français (en moyenne) était réelle, mais moindre que certains détracteurs ont voulu le faire croire et que l’infériorité numérique française explique en partie les pertes de navires au combat, si l’on ne se concentre pas que sur Trafalgar.
Contrairement à ce qu’une certaine historiographie dominante depuis les années 1970 pourrait laisser croire, mon point de vue n’est pas isolé, même si les historiens qui donneraient quelques chances de réussite au programme de reconstruction navale et à la marine impériale sont moins connus en France. Je pense à Richard Glover, qui estime que la marine française aurait surclassé la Royal Navy numériquement. Mais la fortification des côtes anglaises aurait fait échouer un débarquement, selon lui.
Je tiens toutefois à rappeler que mon but n’était pas de « gagner » Trafalgar a posteriori, mais de montrer que la guerre contre la Russie était contraire à la stratégie de Napoléon dans sa lutte contre l’Angleterre et que cette guerre continentale lui a été imposée. Les armements et menaces russes qui éclatent au grand jour après la mise en œuvre du programme naval obligent Napoléon à modifier, avec réticence, son projet de guerre maritime. Et il me semble aussi avoir écrit qu’une victoire sur mer paraissait moins improbable que la réussite d’un blocus commercial, prétendument motivé par l’idée de mettre l’Angleterre économiquement. On prête là à Napoléon une adhésion sans faille à des théories économiques, dont il se méfiait en réalité. Mais rassurez-vous, la question des chances de réussite de Napoléon m’a été plus posée plus d’une fois, même si la réponse à cette question avait pour moi un intérêt secondaire. Par ailleurs, il me semble que les militaires d’aujourd’hui font des simulations de l’évolution d’un conflit en recourant à la puissance de calcul des ordinateurs. Ce serait peut-être amusant de reconstituer l’histoire de cette manière…
Nous pourrions-nous pas conclure par l'expression "l'argent est le nerf de la guerre" ?
Seulement dans une certaine mesure, car la réalisation d’une opération générale sur mer nécessitait aussi la présence de troupes prêtes à être embarquées par exemple à Boulogne, au Texel, à Flessingue, à Cherbourg, à Toulon. Et en temps de grande guerre continentale, ces troupes françaises étaient occupées ailleurs, sans parler des garnisons de vaisseaux et des conscrits maritimes qui furent retirés des navires. Il est vrai que les matelots furent débarqués de nombreux navires en 1813, parce que la solde en mer était plus élevée que celle sur terre. L’argent a donc sans doute joué un rôle décisif, à condition d’avoir à l’esprit que ce n’est que très partiellement l’argent des Anglais qui mettait Napoléon en difficulté : c’est l’effort financier conjugué des Anglais et des grandes puissances continentales Russie et Autriche (et leurs soutiens, Prusse et Suède) qui dépassait les capacités financières de l’Europe napoléonienne (Empire français, Confédération du Rhin, Italie etc.).